David Byrne et son ballet funky enflamment la Philharmonie

Via Télérama.fr

Photo : Maxime Guthfreund pour la Philharmonie de Paris

François Gorin

Une ovation s’est mise à enfler, ceux qui étaient encore assis – on est à la Philharmonie, que diable ! – se sont levés avec le grondement des voix. On était seulement à la fin du troisième morceau, et David Byrne avait déjà gagné. C’était quand même, aussi, un concert de rock. Et mieux que ça. Le grand escogriffe, sa silhouette de jeune homme désormais coiffée d’un panache blanc, avait commencé par occuper seul la scène presque nue, attablé tel un conférencier tenant à la main, dans une pose néo-shakespearienne, un cerveau en résine. Avec la chanson Here, dans son dernier album, il détaillait la chose, puis on ne la revit plus.

Place aux jambes, à la danse, au rythme. Irruption des musiciens à travers un immense rideau de douche perlé, servant à la fois de toile de fond et d’écran fluide aux mouvements de la mise en scène. Ils ont tous le même costume gris bien taillé (Kenzo) que leur leader. On songe d’abord à des fonctionnaires syldaves (ou bordures) à qui on aurait donné des accessoires pour une fête de fin d’année. Astuce payante, chacun porte son instrument en bandoulière, qu’il soit tambour ou basse, clavier ou tambour. L’accent est mis sur les percussions. L’orchestre est donc mobile, deux d’entre eux chantent et dansent, on est frappé de la légèreté de l’ensemble. Huit au début, onze ensuite, leurs pas, mimiques et entrechats réglés sur la musique, au millimètre et en liberté. Et au milieu, jamais à part, toujours avec, voire fondu dans sa troupe, David Byrne, capitaine et entraîneur de ce onze en uniforme gris, meneur d’une revue qui embrase donc la salle dès le troisième morceau, I Zimbra, pioché dans la légende dorée des Talking Heads, et on se pince : comment nous rejouent-ils cet échantillon de jungle sonore avec un attirail aussi spartiate ?

La chorégraphie au service des chansons

« Je danse comme ça », chantera plus tard le grand Byrne dans un autre extrait de American Utopia, sorti il y a quelques mois. Il danse à sa manière, parce qu’il aime ça, il a toujours dansé, même jadis comme un pingouin épileptique. En 1984, il avait transformé les concerts des Talking Heads en vrai spectacle, apparaissant dans un costume surdimensionné pour que sa tête ait l’air plus petite. Les champions de la new wave cérébrale étaient alors devenus une machine à funk tribal et les caméras de Jonathan Demme tournaient. Ça a donné Stop making sense, objet filmé musical sans équivalent. Dès 1981, David Byrne avait collaboré avec la chorégraphe Twyla Tharp sur The Catherine Wheel. Plus tard ce serait Bob Wilson (The Knee Plays, The Forest). Le concept de l’actuelle tournée est né de sa rencontre avec Annie-B Parson, qui dirige le Big Dance Theater de Brooklyn. Celle-ci a déjà travaillé avec des musiciens (et Jonathan Demme, le monde est petit), ça se voit : la chorégraphie est au service des chansons, pas l’inverse.

La manière dont chacune s’intègre à cette succession de tableaux sans temps mort – sinon pour remercier – est une réussite totale. On se prend à réévaluer certaines productions récentes, tel ce I should watch TV, fruit d’une collaboration avec St. Vincent, et on ressent l’impression, bien peu banale à l’heure où tant d’anciens groupes historiques se contentent du recyclage, que ces morceaux de Talking Heads connus par cœur ont été composés tout exprès pour le concert. Once in a lifetime était attendu mais pas dans ce nouvel arrangement. Born under punches offre une pulsation démente.

Photo : Maxime Guthfreund pour la Philharmonie de Paris

Rarement a-t-on vu du gris produire autant de couleurs. Multipliés par leurs marches, leurs bonds, leurs processions, ou aggrandis en ombres chinoises, les musiciens font jubiler ce qu’ils jouent. Byrne offre quant à lui une dépense physique bien supérieure à ce qu’on peut espérer d’un New-Yorkais de 66 ans. Peut-être sa pratique assidue du vélo ? Par séquences faussement trébuchantes, on croit revoir le M. Hulot de Playtime – un autre festival de gris et l’un de ses films préférés. Un Hulot qui aurait écumé les clubs de salsa. Quant à sa voix, elle n’a pas tant mué depuis le jeune coq étranglé de Psycho Killer.

Guitariste original

Mais ce crooner paradoxal a su dompter ses limites vocales pour y puiser des ressources lyriques, ici précipitant le débit, là étirant les syllabes. Harnaché à l’occasion d’une Stratocaster blanche, il rappelle aussi par éclairs quel guitariste original il est. Seul petit regret, l’absence au répertoire d’une de ces ballades lunaires où David Byrne excelle aussi. Mais l’ordre du soir était résolument rythmique, et la baraque a logiquement pris feu sur Burning down the house. Puis en dernier lieu, ce fantastique jamboree arty pour la tête et les jambes s’est mis à « refaire un peu de sens » avec une version actualisée du Hell you talmbout de Janelle Monáe : Byrne et sa bande clamaient les noms de citoyens afro-américains victimes de crimes racistes à travers les âges. Suggérant que même le protest song était à réinventer.

Au bout de cette soirée ébouriffante, on oubliait que ce grand frère si singulièrement américain nous avait parfois déçus au fil d’albums solo inégaux. David Byrne est unique, vivant, créatif comme jamais. Et il danse comme personne. Il suffisait de nous le rappeler.

David Byrne sera en concert le 5 novembre au Zénith de Paris.

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